L’homéostasie du fer au niveau de l’organisme repose sur une régulation de l’absorption intestinale du fer alimentaire. Cette absorption se fait par les entérocytes matures situés au sommet de la villosité du duodénum (partie proximale de l’intestin) et met en jeu un grand nombre de protéines. L’expression de ces différentes protéines dépend de signaux envoyés par l’organisme en fonction, soit du niveau des réserves en fer tissulaires, soit de l’activité de fabrication des globules rouges. Ainsi, dans des conditions physiologiques normales, les entérocytes en recevant ces signaux s’adaptent à la demande en fer de l’organisme. L’une des molécules clé participant à cette régulation est l’hepcidine, une protéine synthétisée dans le foie sous la forme d’un précurseur et excrétée dans la circulation sous la forme d’un peptide mature très court de 25 acides aminés.

Le rôle régulateur de l’hepcidine

                                
Il y a cinq ans, nous avions proposé que l’hepcidine est un inhibiteur (= un frein) de l’absorption intestinale de fer mais également du relargage de fer par les macrophages. Ces dernières cellules, qui ont pour but de « faire le ménage », jouent en effet un rôle important en recyclant le fer des globules rouges les plus âgés (en fin de vie, après 120 jours).
Le premier lien entre le fer et cette protéine repose sur la démonstration par une équipe française (unité 522 de l’INSERM – Rennes) que l’hepcidine est augmentée lors d’une surcharge en fer induite en nourrissant les souris avec un régime riche en fer. Dans ce modèle, l’hepcidine est augmentée pour lutter efficacement contre une absorption excessive de fer dont le rôle toxique a été évoqué ci-dessus. Nous avons démontré qu’une lignée de souris qui ne fabrique plus d’hepcidine accumule un excès de fer dans leurs organes principalement dans le foie et le pancréas. Chez ces souris, la fabrication d’hepcidine est constamment effondrée, la régulation négative de l’absorption du fer n’est plus opérationnelle, conduisant alors à l’accumulation du métal dans les organes. Ces souris développent donc des phénotypes similaires à ceux des sujets ou d’autres souris atteints d’hémochromatose génétique. 
La confirmation du rôle inhibiteur de l’hepcidine fut apportée grâce à des souris fabriquant un excès d’hepcidine dans leur foie. Ces animaux développent alors une carence en fer et une anémie (car il n’y a plus assez de fer pour produire suffisamment de globules rouges) dont la sévérité est directement corrélée à l’excès d’hepcidine. Depuis, plusieurs publications ont rapporté des familles (rares)
porteurs d’une mutation inactivant l’hepcidine. Les porteurs homozygotes de ces mutations développent une hémochromatose dont les symptômes apparaissent dès la fin de l’adolescence (d’où son nom d’hémochromatose « juvénile »), confirmant ainsi l’importance de l’hepcidine chez l’Homme.
L’hepcidine est donc bien l’hormone recherchée depuis 40 ans, le fameux « régulateur des réserves ». Mais il a été aussi proposé que l’hepcidine puisse être le « régulateur érythroïde ». En effet dans une situation dans laquelle il est nécessaire d’augmenter la fabrication des globules rouges (en cas d’anémie par exemple), l’expression d’hepcidine est réprimée. Ce mécanisme pourrait faire intervenir l’
érythropoïétine car nous avons démontré que l’injection de celle-ci à des souris suffisait à éteindre l’expression d’hepcidine. L’inhibition d’expression d’hepcidine permettrait de lever l’action négative qu’exerce la molécule sur l’absorption de fer, ceci afin d’apporter suffisamment de fer pour la production accrue des globules rouges.

Hepcidine et hémochromatose

                          
L’hémochromatose est l’une des maladies génétiques les plus fréquentes. Elle provoque une accumulation de fer dans les organes qui, en l’absence de prise en charge, peut aboutir à des lésions tissulaires sévères (cancer du foie, cardiopathie, diabète) qui sont la conséquence directe du stress oxydatif créé par la présence excessive du fer. Cette maladie (autosomique récessive) est liée, dans la grande majorité des cas, à l’existence de mutations du gène HFE localisé sur le chromosome 6.
Plusieurs équipes ont démontré que des patients ou des souris développant une hémochromatose liée à une inactivation du gène
HFE ont une carence en hepcidine. Ainsi l’absorption de fer anormalement réglée chez les hémochromatosiques serait-elle directement la conséquence de ce déficit d’hepcidine. Nous avons démontré qu’en corrigeant ce déficit (grâce à un transgène), nous protégions les souris hémochromatosiques dépourvues de leur gène HFE de toute surcharge en fer et ceci aussi longtemps que le transgène est exprimé.
Plus récemment, il est rapporté que la production d’hepcidine induit chez ces souris hémochromatosiques dont la surcharge en fer est déjà établie, une redistribution rapide du métal qui s’accumule dans les macrophages au lieu des hépatocytes. 
La toxicité hépatique du fer étant liée à sa surabondance dans les hépatocytes, ce résultat confirme et élargit l’intérêt thérapeutique de l’hepcidine ou des inducteurs de l’hepcidine dans le traitement des surcharges en fer, en particulier des hémochromatoses communes. En effet, un tel traitement serait susceptible non seulement de corriger l’hyperabsorption intestinale du fer, cause de la maladie, mais aussi d’induire une redistribution du fer déjà accumulé, et donc d’en réduire la toxicité.
Bien qu’en France un individu sur dix soit porteur d’une mutation sur HFE, la pénétrance de la maladie est très incomplète. En aggravant la carence d’hepcidine chez la souris, l’accumulation de fer devient encore plus sévère. 
Cela fait de l’hepcidine un candidat privilégié pour expliquer dans certains cas la pénétrance variable de l’hémochromatose. La variabilité pourrait s’expliquer soit par la présence délétère de mutations directement dans le gène de l’hepcidine (il s’agit sans nul doute de cas rares), soit par la modulation de son expression par des mécanismes qui restent à déterminer. L’un de ces mécanismes pourrait être la consommation d’alcool. En effet, comme cela a déjà été souligné dans le bulletin n° 86, une étude réalisée sur la souris démontre que la prise d’alcool abaisse la quantité d’hepcidine, quantité déjà trop basse pour répondre à la surcharge en fer dans l’hémochromatose. Ce résultat, s’il devait se confirmer chez l’homme, suggère le fait évident que l’alcool serait alors contre-indiqué pour les personnes atteintes d’hémochromatose. 
D’autres acteurs ont été ajoutés dans la liste des régulateurs de l’hepcidine. Parmi eux citons l’
hémojuvéline. Des mutations de cette protéine, rares également, ont été rapportées dans des cas d’hémochromatose juvénile. Bien qu’on ne connaisse que très partiellement la façon dont le mécanisme de régulation du gène de l’hepcidine opère, quelques études commencent à apparaître sur le sujet.
Enfin, je terminerai par évoquer la cible moléculaire de l’hepcidine. Il s’agit selon toute attente d’une protéine impliquée dans le transport du fer. Cette protéine appelée f
erroportine est présente à la surface des cellules de l’intestin chargées de prélever le fer alimentaire mais également à la surface des macrophages. L’hepcidine est capable de se fixer sur la ferroportine et de provoquer sa destruction par des complexes enzymatiques cellulaires. On comprend donc pourquoi l’absence d’hepcidine entraîne une surcharge en fer : la ferroportine n’est plus détruite et transporte le fer sans limite. A l’inverse, dans les anémies inflammatoires dans lesquelles l’hepcidine est présente en grande quantité, les molécules de ferroportine sont détruites rapidement. Le fer alimentaire ne peut pas être transporté au travers des cellules intestinales ou bien il reste séquestré dans les macrophages. Les mouvements du fer sont alors figés. Des mutations de la ferroportine entraînent également des surcharges en fer bien que le tableau clinique soit différent de celui des hémochromatoses avec mutations du gène HFE.

Perspectives

                 
Les perspectives diagnostiques et thérapeutiques des travaux réalisés par des dizaines d’équipes depuis cinq ans sont considérables et constituent une étape essentielle dans le domaine des maladies de l’homéostasie du fer (insuffisances ou surcharges), qui touchent des dizaines de millions de personnes dans le monde. Ces travaux ont d’ores et déjà permis de placer l’hepcidine au centre de la régulation des mouvements de fer dans l’organisme. Un tel régulateur était recherché depuis plusieurs dizaines d’années. 
En ce qui concerne l’hémochromatose nous pouvons aujourd’hui affirmer qu’il s’agit d’une maladie ayant une forte composante hépatique et qu’un déficit plus ou moins prononcé en hepcidine constitue un point commun à la presque totalité des hémochromatoses humaines. L’absorption intestinale de fer qui se produit au niveau de l’intestin serait en partie une conséquence de ce déficit. L’utilisation de l’hepcidine ou de toute molécule capable de stimuler sa production pourrait améliorer le traitement des surcharges en fer primaires (hémochromatoses) et même secondaires, par exemple dans les thalassémies et les anémies réfractaires par insuffisance de production de globules rouges. En effet, dans ces surcharges secondaires, le régulateur érythroïde est activé, conduisant à l’augmentation anormale de l’absorption intestinale du fer. Des travaux réalisés chez l’Homme et chez la souris suggèrent fortement que la répression du gène hepcidine serait là aussi en partie responsable. Il est peu probable que l’hepcidine soit utilisée un jour directement comme agent thérapeutique à grande échelle. Cela tient principalement à sa nature chimique particulière qui la rend très difficile à fabriquer. 
En revanche les personnes porteuses de mutations HFE ont un gène de l’hepcidine tout à fait intact. Seule la régulation de l’expression de ce gène hepcidine fait défaut. Il serait donc plus judicieux de rechercher une molécule capable de « rallumer » ce gène. Pour cela un test  permettant le criblage à haut débit de dizaines de milliers de molécules pharmaceutiques doit être inventé avant d’espérer mettre la main sur le précieux médicament candidat. À l’inverse, des antagonistes de l’hepcidine pourraient contribuer à améliorer le traitement des anémies inflammatoires. Enfin, d’un point de vue diagnostique, le dosage de l’hepcidine pourra constituer un nouvel outil important puisque de la quantité d’hepcidine dépend directement l’homéostasie du fer. Ce dosage pourrait être prescrit au même titre que l’on dose aujourd’hui la ferritine ou la saturation de la transferrine. Malheureusement un tel dosage fait encore défaut aujourd’hui. Le manque réel de motivation des équipes concernées contribue certainement au même titre que la difficulté de mise au point à expliquer une telle absence. Cela n’est en tout cas pas impossible puisqu’une équipe américaine a réussi clairement dans ce domaine mais cet outil n’est pour l’instant utilisable qu’en recherche médicale et non pour le diagnostic à grande échelle.
Une chose est certaine : la recherche avance. Retournons-nous sur ces cinq années écoulées pour nous convaincre des progrès accomplis.


Gaël NICOLAS
Chargé de recherche INSERM
Unité 665 de l’INSERM

Bulletin bimestriel AHF n°88 - Septembre-Octobre 2006